L'autoroute (6)

La route débuta sans encombre. Le cousin préféra prendre la départementale pour éviter la côte de l'autoroute : « jamais on pourra la monter avec les vaches au cul du bahut, on prendra l'autoroute dans la plaine ! ». Il se renfrogna un peu, il aurait bien aimé la monter cette côte ! Mais bon, il avait appris à être patient.

Et puis la Départementale suivait l'autoroute, voire la surplombait parfois, alors il se colla à la vitre, la joue appuyée sur le verre froid. Les vaches remuaient dans la remorque, un museau dépassait sur le côté, il le voyait dans le rétroviseur, les naseaux exhalant une fumée blanche et épaisse. Les bêtes semblaient aussi excitées que lui d'aller à la Ville.

Eclairé au milieu de la plaine trônait la barrière de péage. On la voyait de loin, à côté de l'autoroute, lui-même éclairé à cet endroit. Tout le reste de la plaine semblait plongé dans le noir. Jusqu'à l'horizon, là où la lumière du soleil levant semblaient se mêler à une autre source. La Capitale, peut-être ?

« bon ta mère veut qu'on passe par sa cabine, c'est la Une. »

La bétaillère ralentit, doucement elle se glissa entre les deux rails et stoppa à hauteur de la barrière clignotante. Il se redressa, se passa la main dans les cheveux pour tenter de contenir un épi rebelle. Le cousin baissa sa vitre, et tendit un billet par la fenêtre.

« Dites donc vous êtes pas vraiment en avance, là !

- t'inquiètes, on y sera

- oui, ben fais pas le fou sur la route, hein ?

- le fou ? Avec ce char d'assaut ? Tu rigoles ?

- ah ça va hein, tu m'a bien comprise... Et toi, tu suis ton cousin et lui obéis ! Il manquerait plus que ce satané autoroute me prenne mon dernier homme

- ah arrête avec ça ! Tu sais bien que c'est pas l'autoroute qui te l'a pris ton mari !

- chhhtttt, bon allez bonne route tous les deux et revenez moi entiers ! »

Le moteur de la bétaillère ronfla, rugit, l'avant se souleva, et le cousin lâcha le frein. EN ROUTE !

« qu'est-ce qu'elle a voulu dire ?

- Bon dès qu'on arrive, on sort les bêtes,...

- qu'est-ce qu'elle a voulu dire ?

- ... on les installe dans les boxes, normalement j'ai réservé ceux les plus proches de la réserve de foin...

- qu'èèèèèsssseee qu'elle a voulu DIIIIIREEEEE ?

- Dis ? Tu m'écoutes, oui ? On n'a pas le temps pour ces histoires de bonnes femmes, on a du boulot ce week-end ! »

C'est à ce moment qu'un long camion rouge et or les doubla dans un fracas de tonnerre. La bétaillère essayait de se lancer sur l'autoroute, depuis la voie d'accélération. Elle fut ballottée en tous sens par le souffle de l'apparition. Une vague aspergea le pare-brise, le Cousin mit les essuie-glace à pleine vitesse en jurant et appelant à l'aide dieu, le diable et tous les autres habitants de l'enfer et du paradis. Les vaches à l'arrière megulèrent, et commencèrent à danser.

« Bordel, elles vont nous renverser ! Ouvre la fenêtre au-dessus de la banquette, et calme les !

- hein ?! Mais comment veux-tu ?

- Passe la main à l'arrière, caresse leur le museau, parle leur, je m'en fous mais fais quelque chose !!!! »

Il hésita, peu (il n'en avait pas trop le temps), et commença à leur parler doucement. En leur massant le front. Son cousin tentait de retenir le volant. La bétaillère cogna la glissière de sécurité. Puis finalement se stabilisa.

En se retournant vers la route, il vit le semi-remorque qui semblait freiner. Le rouge de ses feux stop (il semblait en avoir une dizaine, tant la route était éclairé) s'éteignit, et finalement le camion sembla reprendre son élan. Il soupira... Il avait dû rêver...

Alors que la bétaillère s'engageait enfin sur l'autoroute, il eut un dernier regard sur le rétroviseur extérieur. La barrière de péage s'enfonçait dans la nuit. Normalement sa mère n'avait rien vu, il tenta quand même de voir s'il ne voyait pas une silhouette courir dans leur direction.

« Bon en route !!! »

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