mardi 27 janvier 2009

Dans lequel une Dame arrive à Audierne

Pierrot est chez son oncle et sa tante pour échapper aux bombardements sur Brest. Il a malencontreusement laissé s'échapper le cochon familial ce qui a provoqué la colère de sa tante. Celle-ci l'a menacé de « l'envoyer à la Dame Blanche ».Le soir, alors qu'ils rentrent à la maison, l'oncle accepte de raconter.

L'histoire commence donc il y a très longtemps. Des naufrageurs habitaient alors dans la région.Pendant leur retour à la maison, son oncle raconte à Pierrot le naufrage d'un navire Hollandais, chargé d'oranges. Pierrot comprend, malgré les silences de son oncle, que quelque chose de terrible est arrivé au jeune capitaine de ce vaisseau.

Le repas terminé, l'oncle s'installa devant la cheminée sur son bac. Il commença à rafistoler son filet, abîmé il y a peu par les rochers. Il en avait besoin pour le lendemain car le vent était favorable à une sortie qui pourrait être prometteuse.

« tu n'as toujours pas parlé de la Dame Blanche », chuchota Pierrot en lançant un regard vers le fond de la pièce commune, là où sa tante s'affairait encore...

« c'était qui alors ?

- tu sais c'est une histoire longue encore...Et là je vais avoir un peu de boulot pour réparer ça. Tu ne voudrais pas aller te coucher ?

- nononononon... je ne vais pas pouvoir dormir...

« qu'est ce vous complotez dans mon dos, vous deux ?

- rien, je raconte des histoires au p'tit, il m'a bien aidé aujourd'hui, mais il n'est pas fatigué et ne veut pas aller se coucher.

- et je peux savoir c'que c'est ces histoires ? Tu lui fais pas peur avec la Baie des Trépassés, ou bien le naufrage du « Droits d'l'Homme », hein ?

- penses tu il est trop p'tiot ! Il nous f'rait des cauchemars à nous réveiller toutes les nuits, non, non, j'y raconte des histoires de Korriganed et de p'tites fées...

- ohlàlà, lui embrouille pas trop la tête avec ces âneries, sa mère va me gourmander ! Tu sais bien que depuis qu'elle est à la Ville, elle répète inlassablement que les gens du coin sont un peu des sauvages...

Pierrot écoutait discrètement l'échange. Puis il regarda soulagé sa tante se diriger vers la couche. Elle ne l'appelait pas pour la rejoindre, c'était donc bon, son oncle allait pouvoir lui raconter la suite.

source image

Ce qui s'est passé ensuite, on ne sait pas trop pour le bateau. Les gendarmes sont arrivés d'Audierne et ont dû contacter l'armateur hollandais. Celui-ci n'avait plus que ses yeux pour pleurer, le bateau s'était fracassé (le réparer aurait été hors de prix, surtout qu'il aurait été obligé de passer par des gens du cru, qui se seraient encore servis au passage, crois-moi), et sa cargaison était entièrement perdue. Les gens avaient mangé des oranges pendant quelques temps, mais là il ne restait plus rien.

Toutefois les gendarmes furent bien embêtés avec ce capitaine à qui il manquait une oreille, un doigt et dont la gorge avait été tranchée. Des rumeurs circulaient sur trois gredins, qui arboraient un anneau à l'oreille, une bague de fiançailles ou bien encore une montre à gousset rutilante. Mais bon, les gendarmes préféraient parler d'une mutinerie ayant causé le naufrage plutôt que de se mettre à dos la population.


Ils convinrent que l'histoire de la mutinerie était la plus simple à expliquer à la jeune veuve. C'est ce qui fut fait dans un courrier du Procureur, adressé à son homologue d'Amsterdam.

Et la vie continua.

Jusqu'au jour où le train de Douarnenez entre en gare d'Audierne. Ce train, qui d'habitude était surtout utilisé par les gens du coin pour monter vers Brest ou vers Paris, transportait une voyageuse très particulière.

À la descente du train, les quelques badauds et les cheminots furent soufflés à la vue de la Dame. Celle-ci avait un teint de porcelaine, et semblait plus fragile qu'une verroterie indienne. Elle était vêtue de blanc, de la tête (coiffée d'un large chapeau orné de plumes d'autruche) aux pieds (ceints dans des bottines étaient en cuir blanc), en passant par sa robe (immaculée mais étant tout de même coupée de façon à être pratique pour un long voyage). Elle venait en effet de traverser la moitié de l'Europe, en train couchette. Le courrier montré par le Procureur d'Amsterdam l'avait décidée à prendre la route pour se rendre elle-même en Bretagne en vue de récupérer la dépouille de son jeune mari.

Un élément du courrier l'avait intriguée. On y parlait de mutinerie. Or, ce navire marchand, armé pour ramener des fruits exotiques depuis les côtes africaines, n'était pas à proprement parler manoeuvré par des flibustiers. Elle avait d'ailleurs rencontré son équipage lors de l'embarquement. Son mari était tellement fier de sa première course en tant que capitaine. Non cette histoire de mutinerie ne pouvait être qu'une tromperie, et elle en aurait le coeur net !

Dès sa descente du train elle demanda à un badaud de bien vouloir la conduire en la meilleure Hostellerie de Plouhinec. Celui-ci, surpris de l'accent de la jeune Dame lui expliqua que le village ne comptait qu'un troquet, qui servait de repère aux pêcheurs. Il lui conseilla donc de rester à Audierne. Il y avait dans la grand rue, une auberge plus digne de l'accueillir : « l'auberge du Roi Gradlon ».

A contrecoeur elle accepta la proposition. De toute façon, Plouhinec n'était pas bien loin à pied.


« Et alors ?

- ben après ce voyage, tu penses bien qu'elle était fatiguée la Dame B...

- c'est elle ?! Hein c'est ça c'est elle ?

- ah mais non, ne va pas plus vite que la musique ! Ma langue a fourché, c'est tout ! Bon allez hop, mon filet est réparé, tout le monde au lit ! Vite vite vite !

Cette nuit-là Pierrot se demandait en quoi cette Dame pouvait être si terrible pour que sa tante le menace de l'envoyer à elle... Demain, il faudrait qu'il tanne son oncle et qu'il lui raconte la fin en descendant embarquer au port. Il tourna et retourna cette nuit-là, ne trouvant le sommeil que tard.

Le lendemain matin c'est sa tante qui le réveilla. Il chercha des yeux son oncle mais celui-ci était déjà parti. Il courut dehors et regarda en contrebas la barque passer la barre pour se diriger vers le large.

19 commentaires:

  1. la dernière particulièrement, on y est attaché avec grand-père de Rezé

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  2. Puisqu'il est encore question de naufrageurs, permettez-moi de vous offrir ce poème de Tristan Corbière :

    Le Naufrageur

    Si ce n’était pas vrai — Que je crève !
    . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
    J’ai vu dans mes yeux, dans mon rêve,
    La Notre-Dame des brisans
    Qui jetait à ses pauvres gens
    Un gros navire sur leur grève...
    Sur la grève des Kerlouans
    Aussi goélands que les goélands.

    Le sort est dans l’eau : le cormoran nage,
    Le vent bat en côte, et c’est le Mois Noir...
    Oh ! moi je sens bien de loin le naufrage !
    Moi j’entends là-haut chasser le nuage !
    Moi je vois profond dans la nuit, sans voir !

    Moi je siffle quand la mer gronde,
    Oiseau de malheur à poil roux !...
    J’ai promis aux douaniers de ronde,
    Leur part, pour rester dans leurs trous...
    Que je sois seul ! — oiseau d’épave
    Sur les brisans que la mer lave...
    . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
    Oiseau de malheur à poil roux !

    — Et qu’il vente la peau du diable !
    Je sens ça déjà sous ma peau.
    La mer moutonne !... — Ho, mon troupeau !
    — C’est moi le berger, sur le sable...

    L’enfer fait l’amour. — Je ris comme un mort —
    Sautez sous le Hû !... le Hû des rafales,
    Sur les noirs taureaux sourds, blanches cavales !
    Votre écume à moi, cavales d’Armor !
    Et vos crins au vent !... — Je ris comme un mort —

    Mon père était un vieux saltin,
    Ma mère une vieille morgate...
    Une nuit, sonna le tocsin :
    — Vite à la côte : une frégate ! —
    ... Et dans la nuit, jusqu’au matin,
    Ils ont tout rincé la frégate...

    — Mais il dort mort le vieux saltin,
    Et morte la vieille morgate...
    Là-haut, dans le paradis saint
    Ils n’ont plus besoin de frégate.

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  3. Ah merci j'aime beaucoup Tristan Corbière, les amours jaunes, Roscoff, sa vie légèrement décalée

    merci

    (la ville de Morlaix a un super site sur lui et son père, l'autre auteur de la famille, à qui il dédie d'ailleurs ses "amours jaunes")

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  4. Et j'ai oublié de vous dire que l'un de mes "Brigade" se passe à Audierne, d'où le héros, Boris Corentin est censé être originaire.

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  5. ben ça c'est pas mal ! "le seigneur d'audierne" nous dit internet...

    hé ben le monde est vraiment petit (vous vous étiez déplacé pour les notes ?)

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  6. Oui. C'était en 1998. On avait loué une maison pour deux semaines, après Audierne, en allant vers la pointe du Raz. Le matin j'écrivais (un autre livre) pendant que Catherine allait acheter du poisson, et l'après-midi on allait se balader.

    La première scène se passe dans le vivier à homards : on y retrouve un cadavre de fille nue, à moitié bouffé par ces charmantes bestioles. Après, je ne sais plus.

    Je vais regarder s'il m'en reste un pour vous l'envoyer, mais c'est vraiment sans garantie...

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  7. les homards n'ont vraiment aucun savoir-vivre ! En même temps ce sont souvent les crutstacés qui ont connu des naufrages qui étaient les plus goûtus :)

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  8. Rhââââaaaaa... Le suspense est insoutenable !

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  9. je vais essayer d'abréger maintenant.. :)

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  10. Oui, enfin, faut pas expédier non plus !

    (elle est chiante hein ? Oui, on me le dit souvent... ;-)

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  11. et voilà ! et quand je dis que c'est compliqué les gonzesses on me traite de misogyne...

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  12. Pas de précipitation! Ce serait dommage d'expédier cette Dame Blanche, avec en plus l'ombre d'un poète maudit qui rôde par ici…

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  13. je ne sais plus quoi faire du coup ! :)

    bon je vais me laisser aller au rythme des publications alors...

    en plus la Dame Blanche referait parler d'elle, semble-t'il ?

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  14. Ils n'y avaient pas de naufrageurs, ni à Perros ni dans les hameaux circonvoisins, que des malheureux marins pùecheurs qui crevaient de faim...
    signé jean-pierre bistrac

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  15. @Mtislav espérons que cela continue

    @JP Brisac on va pas se lancer dans un concours pour savoir qui de Tristant Corbière ou de moi a raison, tout de même ? :)

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  16. Je me régale, (aussi)

    cap sur la suite ...

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