mardi 2 novembre 2010

elle s'appelait Marie-Noël

"tu m'en remets une ?
- la même ?
- ben ouais, on va pas commencer à taper dans le lusqueux non ?

à la cantonade : "d'ailleurs en parlant de lusqueux, vous devinerez jamais comment j'ai fini la soirée !
- le nez dans ta gerbe ?" demanda un des piliers, un sourire en coin
- mais non t'es con ! j'suis pas comme balmeyer ! J'étais chez moi dans mon pieu...
- ah ouais comme tous les soirs, quoi... Super fin de réveillon comme tout le monde ici en somme...
- 'tain vous êtes vraiment trop cons... allez vous faire voir, la prochaine elle est pas pour moi !


Car ce qu'il voulait raconter JB, pour les intimes, ou Jean-Balthazar pour l'employé d'Etat Civil qui avait reçu son paternel il y a maintenant 35 ans avec une petite pointe courroucée vu l'état d'alcoolémie avancée d'icelui, ce qu'il voulait raconter donc c'était avec qui il avait partagé son plumard, non pas plumard, lit, non même lit ne faisait pas assez classieux comme écrin pour cette nuit passé avec elle (on n'ira pas non plus jusqu'à nid d'amour, faut pas abuser, JB c'est quand même pas un romantique à la mord moi l'noeud).

Il était sorti de ce rade comme tous les soirs, un peu plus tard, c'était le réveillon et il y avait eu repas amélioré et le patron avait fermé à 1 heure du matin (officiellement 23 heures, mais une fois les rideaux tirés il avait gardé ses habitués : de toute façon pas grand monde avait envie de rentrer dans sa solitude mater un programme de variétoche qui aurait la même saveur que celle de quand ils étaient petits et qu'ils avaient le droit d'aller dans la chambre où il y avait une télé pour ne pas déranger les adultes qui avaient des choses de grand à se raconter).

Sur le parking devant son immeuble, elle était là. Emmitouflée de rouge, de la moumoutte bloche aux poignets. Une apparition dans ce gris, rendu blafard par la pleine lune. Elle avait l'air paumée, mais qui ne l'est pas à cette heure au milieu des tours ? Lui il était un peu chaud, le kipik en fin de repas lui avait légèrement remué la tête alors il aurait pas dû dire oui à la poire. Et forcément c'est ce soir qu'elle tombe sur lui, ou lui sur elle, ou il ne sait plus trop.

"Vous n'auriez pas vu mon père ?
- Votre ?!
- Mon père, on était là pour une étape et on devait repartir, on a une longue nuit
- Ben honnêtement, là franchement, je crois qu'il vous a laissé tomber, parce que" et son regard se perdit dans le lointain horizon, fait de parkings à moitié déserté, et de tours dont quelques appartements étaient encore éclairés : un vrai paysage de western ! Pour un peu il se serait pris pour un peau rouge, ou mieux le dernier des Mohicans, prêt à enlever cette jeune squaw. Ils disparaîtraient tous les deux et jamais ne reviendraient ici, dans ce paysage merdeux, où l'avenir semblait aussi bouché que le ciel.
"parce que franchement c'est pas vraiment un endroit pour abandonner une jeune fille... Une nuit de Noël, dites vous êtes pas enceint au moins ?
- comment ?!
- non mais c'était une blague, comme Marie, là, le soir de Noël dans une étable...

Devant l'effet boeuf de sa blague, se sentant l'âne de la soirée, il décida de se montrer princier :

"vous voulez monter ?
- vous n'allez pas un peu vite en besogne ?
- ah mais j'ai gardé le vouvoiement, attention hein, ce serait en tout bien tout honneur !

L'air perdu dans le vague, les yeux à la recherche du véhicule paternel, elle finit par accepter d'un hochement de tête.

"ah ! enfin ça devient intéressant ! alors t'as tiré ton coup ?!
- 'tain vous êtes vraiment trop cons...." il se rendit alors compte qu'il venait de raconter tout ça (encore qu'il ne savait plus trop à quel moment de l'histoire les mots avaient franchi ses lèvres, humectée de la dernière gorgée de bière). Il se décolla du comptoir, prit son verre, et alla se poser à une table, loin des regards goguenards et gourmands de ses acolytes de chaque soir.

Lorsque l'artiste rentra, il se précipité vers elle : "hé viens voir par là !". Elle le rejoignit et ils papotèrent longuement, elle sortant un bloc de dessin et ses couleurs (c'est joli cette expression "ses couleurs"), lui s'enflammant en chuchotant. Les piliers entnedirent tout juste, en dressant l'oreille :
"maisij'ensuiscapable,fautjustequetumemontresquelquestrucs "

Le patron ferma plus tôt ce soir là.

Le lendemain et les jours qui suivirent, JB n'apparut pas au troquet. On était habitué de ses mystères, un jour là, plusieurs mois absent (c'était toujours un plaisir de le revoir pourtant). Et puis un jour, personne ne se souvient plus par qui ou comment, mais on apprit qu'il avait cassé sa pipe. Dans son appart'. L'artiste avait reçu d'un voisin le dessin qu'il avait laissé sur la table de la salle à manger, au milieu de milliers de brouillons, sur lesquels l'aquarelle était mêlée à des tâches d'eau ronde (des larmes ? peut-être sûrement). Elle le ramena au troquet. Maintenant elle trône derrière les bars au milieu des cartes postales des clients et des employés.

dessin de Marlène


Et tous les ans à cette date, un pilier se lève et glisse une pièce dans le juke-box :




ceci est une modeste participation au jeu d'écriture n°5, puisse t'elle avoir l'heur de vous distraire quelques instants en cette période de listes de Noël...

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10 commentaires:

  1. Tout y est : l'atmosphère, les personnages, les dialogues. Décidément, ce dessin de Marlène suscite de très beaux textes.

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  2. Je suis conquise par ce texte. Vive les jeux d'écriture à 1000 mains !

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  3. Ah ben ça faisait longtemps !

    Bravo...

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  4. quelle imagination ! en tous cas, triste fin pour JB...

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  5. @Madame Kevin merci beaucoup de ton commentaire, ravi de te revoir par ici !

    @See Mee oui c'est chouette comme initiative, et merci de ce gentil commentaire

    @Nicolas ben oui je sais... mais faut avoir la tête à ça

    @Iboux la vie se finit rarement gaiement

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  6. JB, JB... ça me rappelle quelque chose. Histoire à voyager dans les interstices de la blogosphère...

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  7. Ravie également !
    Je mets ton texte en ligne sur Le blog à mille mains.
    Désolée pour le retard... la journée a été un peu bousculée !

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