Pierrot est chez son oncle et sa tante pour échapper aux bombardements sur Brest. Il a malencontreusement laissé s'échapper le cochon familial ce qui a provoqué la colère de sa tante. Celle-ci l'a menacé de « l'envoyer à la Dame Blanche ».Le soir, alors qu'ils rentrent à la maison, l'oncle accepte de raconter.
L'histoire commence donc il y a très longtemps. Des naufrageurs habitaient alors dans la région.Pendant leur retour à la maison, son oncle raconte à Pierrot le naufrage d'un navire Hollandais, chargé d'oranges. Pierrot comprend, malgré les silences de son oncle, que quelque chose de terrible est arrivé au jeune capitaine de ce vaisseau.
L'épouse du capitaine arriva peu après à Audierne, car quelque chose lui paraissait étrange dans cette histoire de naufrage.
Le lendemain, Pierrot passa sa journée seul. Son oncle était en mer et sa tante à la conserverie. Il avait pour mission de nourrir le cochon, sa tante lui ayant répété au moins dix fois comment barrer correctement l'enclos après avoir rempli l'auge des restes de soupe de la veille.
La journée étant longue, il s'aventura un peu dans la lande environnante. La côte était très escarpée et Pierrot frissonna plus d'une fois en s'imaginant chuter du haut de la falaise.
La fin de l'après-midi arriva. Sa tante était de retour de la conserverie. Au loin, Pierrot distingua la voile de la barque sur laquelle son oncle était embarqué.
« Ah ça y est les v'là ! » murmura sa tante qui s'état glissée derrière lui sans qu'il ne s'en aperçoive.
« allez, file va le chercher au port, tu trépignes depuis ce matin ! »
Pierrot s'engagea à toute allure sur le sentier côtier qui descendait rapidement vers le port. Arrivé là, il retrouva son oncle qui se dirigeait avec le reste de l'équipage vers « Chez Jeanne Plomb ». « Allez p'tit, viens donc avec nous ! On va vider quelques godets, la pêche a été bonne aujourd'hui ! »
Après quelques chopines l'oncle prit congé de chez Madame Plomb. Il entraîna Pierrot dans son sillage. Celui-ci rongeait son frein. Lorsqu'ils s'engagèrent dans la montée il osa enfin :
« Et la Dame hollandaise alors, qu'est-ce qu'elle a fait ?
- Tiens c'est curieux que tu me demandes ça ! Figure toi qu'une des premières choses qu'elle ait demandé à l'aubergiste le lendemain de son arrivée fut d'être conduite à Plouhinec, à la taverne.
Ce soir-là, on fêtait quelque chose au troquet. Quoi ? La mémoire collective l'a oublié depuis bien longtemps, à l'inverse des libations qui eurent lieu et des maux de tête qui s'ensuivirent.
La Dame fit forte impression en pénétrant dans l'établissement. La gente féminine était assez peu représenté en ce lieu, si ce n'était en fin de soirée pour récupérer les maris, pères ou fils ayant depuis longtemps dépassé l'heure de la soupe. Tous les regards convergèrent donc vers cette Dame, habillée comme à Paris (du moins c'est ainsi qu'on imaginait les femmes parisiennes, aux dires de celles du village qui avaient tenté leur chance là-bas).
Elle souhaitait qu'on la guide jusqu'au lieu du naufrage. Le premier groupe d'hommes lui répondit que ce n'était pas vraiment un lieu pour les dames. Elle passa donc son chemin.
Un autre groupe d'hommes, accoudés au bar, lui dirent que les marées étaient alors trop importantes pour pouvoir descendre sur la grève même à marée basse. Lorsqu'ils lui demandèrent ce qui l'amenait à vouloir visiter ce sinistre lieu, elle haussa les épaules et commanda une chopine. Tout en « dégustant » son vin rouge (un côtes du Rhône ?) elle avisa trois hommes attablés au fond de la salle. Le reste de l'assemblée semblait ne pas s'en approcher, on sentait que quelques non-dits planaient autour d'eux et que la suspicion rendait l'atmosphère particulièrement lourde dans leur voisinage.
Elle prit sur elle de se diriger vers cette tablée, plus silencieuse que les autres.
« Messieurs, bonsoir.
- Bonsoir, … madame...
- Que pouvons nous faire pour vous ?
- Je souhaiterais me rendre sur le lieu du naufrage du navire hollandais, le naufrage suite à la mutinerie, cet hiver.
- Ah ? Et pourquoi donc ? Vous êtes liée à l'armateur ? On le dit Hollandais et pourtant vous parlez un français plus que correct...
- Oui c'est cela, l'armateur m'a envoyé pour lui rendre compte de ce qu'il pouvait rester à voir des lieux du naufrage. L'armateur m'a engagé pour cela. »
Tout en parlant, elle dévisageait ses trois interlocuteurs. L'un restait muet, mais ne perdait rien de la conversation bien que l'observant attentivement. Il tira de sa poche une montre rutilante, qui faisait tâche dans le décor. Il sursauta en l'ouvrant mais se ressaisit immédiatement.
« Bon il se fait tard ! Les gars rentrons chez nous ! Madame, si vous souhaitez vraiment voir cet endroit maudit, je pourrais vous y emmener demain. Repassez sur le port et demandez moi.
- Qui dois-je demander exactement ?
- Paol, on vous dira où me trouver. Vous devez être logée à Audierne, vous devriez vous rentrer aussi, les sentiers ne sont pas sûrs à c'te heure...on peut y rencontrer toutes sortes de drôles de phénomènes... »
Il se leva, bouscula ses deux compagnons : « allez en route ! C'est l'heure de rentrer ! ». Tous se dirigèrent vers la sortie, sans un mot pour le reste de l'assemblée qui les ignorait superbement, bien que tous aient suivi avec attention leur échange, sans en entendre un traître mot toutefois.
La Dame prit congé à son tour. Elle commença à rentrer en direction d'Audierne.
« Tu sais, c'est vraiment drôle car elle a dû emprunter ce chemin à l'époque...
- Mais si c'était la nuit, il devait faire aussi noir que ce soir... Elle devait pas être rassurée la Dame de Holllande. », dit Pierrot en serrant un peu plus fort la main de son oncle et en frissonnant à chaque crac venant de la lande environnante. Il commença à presser le pas en tentant d'entraîner son oncle dans son élan. Celui-ci souriait en le regardant faire.
Source peinture : Desrame