« Dipidib ! Dipidib ! Dipidib ! »
Jean-Yves regarda la radio qui clignotait. Encore un appel de la base.
« Oui ?
Kshhhh
- Jean-Yves ? Faudrait que t'ailles voir celui de la gare RER . Apparemment on a une panne et des clients se plaignent
Kshhhh
- ils se plaignent de quoi exactement ? De l'odeur comme la dernière fois ? Parce que bon m'envoyer réparer des cabines alors qu'elles ont juste besoin d'un bon nettoyage merci bien ! Je suis pas agent d'entretien moi !
Kshhhh
- non ça a l'air.. euh... bizarre cette fois...
Kshhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhh
Des trucs bizarres il en avait vu Jean-Yves. D'ailleurs c'est bien simple c'était à croire que dans la Boîte on lui avait arrogé le titre de « démêleur de bizarrerie en chef ». Un décès dans une cabine ? Hop on l'appelait. Une disparition sans explication d'un client ? Hop encore bibi. À croire que personne ne sait les utiliser normalement ces satanées cabines. C'est quand même pas bien compliqué ! Il y a juste à glisser la pièce dans la fente et à se faire plaisir !
Le temps de se remémorer tous ces problèmes de cabine il avait déjà garé sa camionnette devant l'entrée de la gare RER. Il sortit son A4 plastifié « en chantier », le colla derrière son pare-brise non sans avoir regardé à droite et à gauche avant de s'engager sur les zébras. Des fois que la maréchaussée guette... Mais bon à cette heure là, presque 19 heures, il avait peu de risques de se faire tomber dessus.
En entrant dans la gare il croisa quelques uns des derniers « endettés » qui couraient pour sortir de la gare, récupérer les gosses avant la fermeture de la crèche, le linge au pressing pour le prochain week-end dont la principale occupation sera de manger le repas de communion d'une obscure petite nièce éloignée, et que sais je encore. Des gens pressés quoi. Tout le temps. D'ailleurs c'était son boulot à lui : rendre les cabines fonctionnelles pour permettre à ces gens courant en tous sens tout le temps de faire leur petite affaire le plus vite possible. Il voyait d'ici la panne pour laquelle on l'avait fait venir ici. A tous les coups un pressé avait tiré sur les clichés avant qu'ils ne soient secs. Trop pressé. Comme toujours. Lui Jean-Yves il avait réglé le problème. Enfin il, la vie avait réglé le problème pour lui. Les raisons économiques de la vie en somme. Son loyer ayant littéralement explosé en plein vol, il s'était entendu avec le patron pour pouvoir s'aménager une couchette dans la camionnette. Du coup il était opérationnel quasiment 24 heures sur 24. « c'est du gagnant gagnant » lui avait répondu le patron ! « en plus je te fais cadeau du loyer ! ».
Bon elle était où cette satanée cabine ?
Ils avaient le chic pour les planquer... au lieu de les mettre dans le passage. Mais merde ils éteignent la gare ?!
Le hall s'assombrissait au fur et à mesure qu'il s'y enfonçait. Il ne croisait plus que des ombres, de plus en plus fuyantes. De plus en plus éthérées.
Enfin au loin il la vit. Ou plutôt il devina deux tâches lumineuses. Qu'elle était lourde sa caisse à outils sur son épaule !
« Bon installons nous » se dit il en tirant le rideau. La cabine était impeccable, aucune trace douteuse, la vitre semblait propre, la fente aussi (pas de chewing gum ou pire collé dedans). Non tout avait l'air OK. Toutes les loupiottes fonctionnait. Les loupiottes ? Il ressortit précipitamment. Le fil d'alimentation était coupé net à l'arrivée sur le photomaton. Pourtant tout semblait fonctionner comme s'il était branché.
Ne comprenant pas trop il se rassit. Et glissa dans la fente le « jeton test » (autre brillante idée de son patron : avant toute ouverture de la machine, commandée depuis le central, on pouvait tester la machine avec un faux jeton. « Comme ça pas de tentation de se servir, c'est pour votre bien » qu'il leur avait dit le patron.). Ah zut c'était le modèle « Pirate des Caraïbes » (« toi aussi deviens un pirate des caraïbes ! Et fais toi prendre en photo avec les stars du film! ») il aurait préféré se prendre en photo dans le modèle « Winx », dont était fan sa fille. Ça lui aurait sûrement fait plaisir de recevoir une photo de son papa entouré de petites fées. Enfin il le pensait. Ça faisait un bout de temps qu'il n'avait pas eu l'occasion de lui parler au téléphone. Pas depuis que sa mère avait déménagé dans le Sud. À la recherche du soleil qu'elle avait dit, pour échapper à la grisaille de leur quotidien avait il compris.
Bon ben va pour Pirate des Caraïbes alors.
Choisir le fond de la photo, choisir la scène (tiens avec Johnny Depp le prenant par l'épaule ça pourrait quand même la faire marrer sa gamine, peut-être) et attendre le flash.
Le flash passé, un véritable tintamarre monta des entrailles de la machine. Il lui semblait reconnaître des voix. Chuchotant, riant, grimaçant. Puis plus rien. « chhhhhhtttttttttt, il regarde par la fente ! » abasourdi il se redressa et se cogna la tête.
Dans le réceptacle le cliché apparut enfin. De dos. En se frottant l'occiput il regarda le souffle chaud faire danser le papier photographique. Puis il le prit et le regarda.
Ce qu'il vit était loin d'un portrait entouré de pirates... Il était bien là, au milieu du cliché. Mais tout autour des anges ou d'autres figures ailées féminines l'entouraient. Le ciel était figuré par des nuages mais au-dessus on voyait un royaume céleste, peuplé là aussi de créatures éthérées semblant voleter de part et d'autre d'un astre flamboyant. Et au coin à droite, un homme, moustachu. Peignant cette même toile sur un chevalet. En y regardant de plus près on voyait que la scène se répétait à l'infini.
Complètement ébranlé il ressortit de la cabine. Le cliché à la main.
L'homme à la moustache était là. Sur une affiche. Il lut « Salvador Dali ».
Alors qu'il était là, les bras chancelants, une voix s'éleva. Elle provenait de l'affiche.
« je refuse que ce Charlie de la Chocolaterie soit le seul à pouvoir s'amuser avec des lutins !
- …
- j'ai donc décidé d'élever des mini Salvador dans cet antre technologique capable d'envoyer des éclairs aussi puissants que ceux de Zeus ! Et ainsi redonner un petit peu de la beauté qui m'entoure aux pauvres hères passant dans cette gare ! Qu'en pensez vous ?
- rien M'sieur Dali, j'en pense rien... ou plutôt si c'est une bonne initiative je trouve
- merci cher ami !
de retour à son camion, les poches pleines de "photos" de lui signées Dali (les unes avec des girafes enflammées, les autres au milieu de la gare de Perpignan, ...) il rappela le central : "RAS" et démarra vers un nouveau photomaton.
Photos : Louise imagine (merci infiniment pour le détail sur Dali)
pour le jeu d'écritures n°6
Excellente participation, m'sieur !
RépondreSupprimerJe sens un peu de vécu avec "pirates des caraïbes"!
c'est foooouuuuuu !Nooonnn !
:)
Merci beaucoup Gildan, la photo pirates est un vieux fantasme en effet :-)
RépondreSupprimerquel talent, quelle imagination, quelle verve, quel verbe !
RépondreSupprimerrhooo ben merci beaucoup ! votre poème était pas mal non plus !
RépondreSupprimerquel talent, quelle imagination, quelle verve, quelle verge !
RépondreSupprimerSympa cette histoire, une jolie nouvelle que tu nous as écrit là :)
RépondreSupprimer@Nicolas merci !:)
RépondreSupprimer@Tizel merci beaucoup
J'ai lu avec plaisir ton texte.
RépondreSupprimerA propos du père Dali, je l'avais déjà rencontré sur ce même blog dans un précédent texte... :-)
http://bit.ly/cEckWm
Je viens de mettre en ligne sur le blog à mille mains. Merci !
RépondreSupprimerJ'aime toujours autant tes textes de fiction.
Merci Bibi et maintenant que vous le dites oui en effet je m'en souviens
RépondreSupprimerMadame Kevin merci d'accepter cette contribution
La vache, quel talent ! Très sympa comme nouvelle
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