Merci Madame Kevin de m'avoir redonné envie !
From Drop Box
Le menton posé sur la balustrade, les yeux dans le vide créé par ces toits de bolides passant à toute allure, il rêvait.
Depuis quand venait-il là au fait ? L'autoroute il l'avait vu naître il y a une dizaine d'années. À l'époque ses parents tenaient un resto-route sur la nationale. Celle qui va de la capitale départementale à celle de l'autre département (enfin on dit capitales pour faire bien hein ? En gros on pourrait parler de bourgades). Le resto était planté à mi-chemin, une distance finement calculée du temps où les automobiles et surtout leurs occupants n'avaient pas le courage ou la volonté de faire tout d'une traite.
Les gens du chantier avaient trouvé cette position pratique. Ils en avaient fait leur QG pour la partie de chantier qui devait leur prendre un peu de temps. En effet, il fallait transformer le croisement de routes sur lequel trônait le restaurant, par un pont autoroutier permettant aux gens du coin de pouvoir continuer à aller faire leur courses dans le village de l'autre côté du futur autoroute. Forcément ça prend un peu plus de temps ce type de travaux. Au début, son père avait vu plutôt d'un bon oeil cet autoroute. Le Maire, suite à une réunion à la Préfecture, avait couru prendre l'apéro et avait lancé sa petite bombe : le village était pressenti pour accueillir une aire de service ! Avec restaurant ! Et comme lelui avait dit le Secrétaire Général de la Préfecture, les sociétés d'autoroute n'aiment pas trop s'embêter : on lui proposerait très certainement la gérance de ce restaurant ! Par contre si son père pouvait accepter la proposition, d'accord un peu basse, mais tout de même, pour son restaurant et son terrain, ça débloquerait pas mal le schmilblick ! Son père resservit une tournée générale de jaune ! Et comment qu'il allait accepter leur offre ! « tu te rends compte chérie ? Un restaurant sur l'autoroute ?! Allez prends donc un petit cinzano pour fêter ça avec nous ! Et toi petit ? Une menthe à l'eau ? Ou bien ou bien … un COCA ?! Ho ! Ma bichette, c'est fête ! T'as entendu m'sieur le Maire ? Le p'tit a bien droit à un coca ! »
Ah c'était vraiment le bon temps il n'y a pas à dire ! La balustrade commençait à lui chauffer le menton... mais il était obnubilé par ces rectangles de couleur de longueurs différentes qui passaient à tout allure sous lui. Ça lui rappelait le jeu vidéo que son père avait fait installer dans le resto : « écoute mon amour, il y a des ouvriers qui vont venir dans le coin ! Et ils n'auront pas grand chose à faire le soir. Alors je pense qu'on peut bien faire un petit effort financier ! ». Un petit effort financier qu'il avait dit, alors que les deux gars de la société de jeux vidéos branchaient la machine. Dessus il y avait écrit « Triple Action : racing car ». Il eut droit à la première partie, offerte par le technicien qui voulait vérifier que « tout tournait normalement ». Comme il était trop petit il était monté sur une chaise pour voir l'écran.
From Drop Box
Et ils étaient arrivés. Ils avaient planté leurs cabanes de chantier près de leurs engins, dans le champ du père Mathurin. Ils étaient nombreux. Ils venaient de loin pour la plupart et avaient passé toute la durée du chantier sur le site. En étaient-ils tristes ? Ou soulagés ? Il n'avait jamais réussi à le savoir. Il avait surpris des regards dans le vide, devant un énième demi, tard. Mais il avait aussi assister à de véritables fêtes de famille dans le resto à l'occasion d'anniversaires ou de colis reçus. Car le restaurant était vraiment devenu leur QG. Une fois les engins arrêtés, tous se précipitaient aux cabanes de douche pour venir prendre l'apéro. Certains se montraient cajoleurs avec sa mère, son papa détournait les yeux. Il devait penser qu'ils pouvaient bien faire un petit effort tous les deux devant la manne représentée par ce chantier et surtout la perspective de l'aire d'autoroute.
Mais quand le pont fut fini, son père posa LA question. Il avait fait le tour du chantier et ne voyait pas trop où elle allait être cette aire d'autoroute. D'ailleurs le Maire n'avait plus d'infos de la Préfecture et se faisait plus rare au restaurant.
Un silence de plomb s'abattit sur la salle. « Une aire ? Ici ? Qui vous a raconté ces conneries ? C'est l'autre équipe, là-bas à la grosse ville du coin qui s'en charge. Vous savez les grosses bourgades ont souvent plus de poids et ici, ben c'est un peu le trou du cul du monde tout de même... »
Jamais il n'avait vu son père aussi abattu. En y réfléchissant bien, il se demandait bien si ce n'était pas ce jour-là que son père avait décidé de mettre les bouts.
Je suis doublement touchée :
RépondreSupprimer- que mon petit texte ait pu rencontrer d'autres imaginaires
- par la qualité de ce texte sur l'autoroute, sur les rêves qui s'en vont. Ce texte est à la fois concis et riche.
Alors c'est moi qui dois dire "merci".
C'est vrai que c'est plus long à écrire que d'autres billets. Mais on y trouve une vraie satisfaction, non ?
@madame Kevin tu vas me faire rougir...
RépondreSupprimerc'est vrai que c'est là qu'on prend le plus de plaisir (pas quand on rouge comme une pivoine, hein ?) mais j'ai toujours besoin d'un déclic pour commencer à écrire un truc, là c'est ton billet
et ça bouillonne tellement qu'il y aura peut-être bien une suite
Beau billet, Gael.
RépondreSupprimerme rapelle de ce jeu vidéo, par contre, j'en avais totalement perdu le nom
TRès agréable à lire et si près de la réalité: touchant !
RépondreSupprimerJe me suis retrouvé dans les années 60 ...
RépondreSupprimer@rébus merci, pour le jeu j'ai aussi galéré pour retrouver le nom
RépondreSupprimer@Homer merci beaucoup
@Elmone ah oui tiens peut-être, merci
Je n'en suis qu'au deuxième paragraphe : on dit "préfecture".
RépondreSupprimerEt, quand je prends l'autoroute, ce qui m'arrive souvent, je suis fasciné par ces gugusses qui se plantent sur les ponts et regardent passer les voitures...
@Nicolas ben là ils y mettent une majuscule parce que c'est à la Capitale :)
RépondreSupprimermoi aussi ça me fascine
Bobiyé !
RépondreSupprimerLe début d'une série ?
N.B. : J'ai connu un petit patelin qui avait une aire d'autoroute, en fait, c'est le bonheur car ça rapporte un tas de taxe professionnelle !
@Nicolas oui sûrement une série, courte ou longue je sais pas trop encore
RépondreSupprimerpour la Tp, c'est bien pour ça que c'est pas eux qu'ils l'ont eue l'aire d'autoroute ;))
Très chouette.
RépondreSupprimermerci beaucoup Mtislav
RépondreSupprimerMerci beaucoup pour cette petite part d'évasion, c'était juste ... génial.
RépondreSupprimerVraiment merci :)
merci à toi banane bleue pour ce commentaire
RépondreSupprimerun blog littéraire ! chouette !
RépondreSupprimertrès bon texte...
merci dom tu es bien indulgente
RépondreSupprimerJoli texte Gaël. J'ai vu qu'il y avait aussi le deux ! Je vais lire.
RépondreSupprimerL'autoroute ... 8 heures dessus plus quelques minutes à lire ton texte !
RépondreSupprimerBésitos
αяf m'ôtent les mots de la bouche. J'allais dire pareil. Il est touchant ton récit en guise de voyage au-dessus d'une quatre voies :o) et comme dit αяf, je m'en vais lire la suite.
RépondreSupprimerMoi aussi, ça m'a rappelé, pas les années 60, j'étais même pas né (enfin, si, en 67, au fait c'est bientôt mon anniv'), mais les années 70.
RépondreSupprimerAaaah, les Dauphine, les chiens qui balancent la tête sur la plage arrière, la "main de Pif" sur le pare-brise...
Quelle époque !